Les marchés des produits de l’élevage de ruminants N° 311 Avril 2020 Hebdo 1

Lait de vache

Face au Covid-19 la filière laitière veut modérer la collecte française

Les transformateurs laitiers sont confrontés à des chaînes alimentaires très bousculées par les effets du confinement des Français : effondrement de la demande en RHD, achats chaotiques des ménages et débouchés au grand export très perturbés et incertains. Du coup, ils envoient des messages de modération plus ou moins incitatifs à leurs livreurs. Ils peuvent compter sur le soutien du CNIEL qui a décidé la mise en place un dispositif incitatif exceptionnel qui s’appliquerait en ce sens.

Collecte en France : hausse saisonnière vigoureuse

Boostée par des conditions printanières précoces et propices à la production herbagère, la collecte laitière française a enregistré une hausse de +1,0% /2019 sur les trois premières semaines de mars, d’après les sondages hebdomadaires de FranceAgriMer.

Cette évolution haussière, en plein pic annuel de la collecte, doit être gérée par les transformateurs, dont l’activité industrielle et commerciale est perturbée par les effets du confinement tant au stade de la transformation (absentéisme croissant du personnel de 20% dans l’Ouest à plus de 30% dans l’Est), de la logistique (transport, ruptures d’approvisionnement de certains emballages et ingrédients), que de la distribution, même si les achats des ménages ont progressé en volume depuis le confinement.

De plus les exportations de lait vrac vers l’Espagne et l’Italie, habituellement dynamiques au printemps, sont ralenties, car les laiteries espagnoles et italiennes, confrontées aux mêmes difficultés, privilégient leur collecte nationale.

Des transformateurs unanimes pour contenir les livraisons printanières

Presque tous les transformateurs envoient des messages de modération à leurs livreurs à quelques semaines du pic de lactation. Au pic, fin avril début mai, la collecte hebdomadaire dépasse de près 10% le niveau hebdomadaire moyen (décembre) et près de 20% le creux estival (fin août).

Sodiaal, en tête, a très tôt (le 19 mars) annoncé l’application d’une pénalité (« saisonnalité ») de -20 €/1 000 litres sur le prix du lait d’avril et mai qui sera restituée, selon les dirigeants, sous forme de prime sur les mois d’été.

Lactalis a aussi alerté ses livreurs que ses sites de traitement étaient proches de la saturation d’autant qu’ils enregistrent un absentéisme du personnel croissant. La société informe ses livreurs qu’elle étudie des mesures visant la modération de la production en étroite collaboration avec les Organisations de producteurs.

Savencia invite aussi ses éleveurs à lever le pied, comme Sodiaal elle instaure une « incitation financière négative au printemps (-20 €/1 000 l en avril et mai et -10 €/1 000 l en juin), qui sera suivie d’une incitation financière positive, pondérée des volumes, au 2ème semestre 2020. Ces dispositions ont été prises unilatéralement, sans l’accord de l’AOP Sunlait, tout comme le prix de base du lait standard fixé à 333,5 €/1 000 l. Les deux parties n’ayant toujours pas trouvé un point d’accord sur les indicateurs d’évolution du prix du lait de vache.

Eurial a réduit ses fabrications de mozzarelle faute de débouché commercial et doit en conséquence faire transformer le lait en beurre/poudre maigre. La coopérative appelle tous ses producteurs à modérer leurs livraisons de lait conventionnel mais aussi biologique, sans quoi une partie plus importante du lait bio serait déclassée.

Certaines laiteries, spécialisées dans le lait de consommation comme la Laiterie St Denis de l’Hôtel, bénéficient à l’inverse d’une demande exceptionnellement forte des distributeurs, conséquence des achats des ménages, ce qui limite leurs excès de lait à cette période de l’année.

Les fabricants de fromages AOP sont en revanche confrontés à une chute des ventes non seulement dans le RHD, mais aussi dans les GMS. Les affineurs de Comté avancent une baisse des ventes de 20%, imputable essentiellement au rayon  à la coupe. L’Union des producteurs de lait à St Nectaire de même que l’ODG Cantal recommandent une réduction de 30% des fabrications pendant la période de confinement. Les éleveurs sont incités à réduire leurs livraisons et les volumes de lait non transformés en fromages grossiront les volumes de lait spot orientés vers la fabrication de beurre/poudre maigre. Dans la zone à Comté, les membres de l’ODG ont décidé de baisser de 8% la collecte et les fabrications de Comté au 2ème trimestre pour éviter la constitution de sur-stocks qui dégraderaient ensuite la dégradation de la valeur produite par la filière.

Le CNIEL agit pour la modération et le lissage de la collecte

L’Interprofession laitière demande à la Commission européenne l’autorisation de mettre en place pour avril un fonds de solidarité exceptionnel de 10 millions € (trésorerie CNIEL). Il vise à indemniser tous les éleveurs qui réduiraient leurs livraisons mensuelles d’avril (de -2 à -5% /2019) à un prix au plus de 320 €/1 000 l. Elle demande aussi aux autorités européennes la réactivation immédiate des aides au stockage privé du beurre, des fromages et des poudres. Enfin, elle prépare un plan de communication pour encourager/relancer la consommation des produits AOP (essentiellement des fromages).

Débouchés : Des activités commerciales très perturbées

L’activité commerciale des transformateurs laitiers est diversement perturbée selon leurs débouchés, mais aussi selon leurs mix-produits. Ils auraient augmenté  leurs ventes au détail (+22% selon IRi sur les semaines 09 à 12), où les ménages ont accru leurs achats de laits conditionnés, de beurre, de crème et d’ultra-frais de fromages râpés. Toutefois, la hausse des volumes serait supérieure à celle des ventes, du fait d’une simplification des achats et de l’offre en magasin. L’activité s’est logiquement effondrée dans la RHD (-75 à -85% selon les produits). Les ventes de produits laitiers aux industries agro-alimentaires seraient aussi ralenties. L’exportation de produits de grande consommation est aussi freinée par les contrôles sanitaires aux frontières, la pénurie de chauffeurs et la logique de renationalisation des approvisionnements à l’œuvre dans tous les pays européens.

Plus inquiétante est l’évolution au grand export, même si l’activité vers la Chine semble reprendre. Les expéditions d’ingrédients se poursuivraient pour les contrats honorés sur plusieurs mois. En revanche, les négociations de nouveaux contrats seraient au point mort. Les clients sont attentistes faute de visibilité sur l’évolution de la situation et de leurs besoins. Seuls les clients opportunistes veulent acheter à des prix bradés, aux alentours de 2 000 €/t pour la poudre maigre.

Ingrédients laitiers : poursuite de la chute des cours de la poudre de lait écrémé

Face à cette réduction des débouchés, les fabrications de poudre maigre, traditionnellement fortes à cette période de l’année, sont relancées pour absorber les excédents de lait. Le déséquilibre croissant entre offre et demande continue de faire pression sur les cours de la poudre maigre. La cotation ATLA a encore perdu 110 €/t en une semaine, soit -440 € en quatre semaines. A 2 160 €/t fin mars, elle n’est plus que 250 € au-dessus de son niveau médiocre de l’an dernier. À un tel rythme de baisse, elle pourrait fin avril retomber au prix d’intervention (1 699 €/t).

Le cours du beurre résiste mieux, probablement du fait de la fermeté de la demande, française et européenne, en matière grasse laitière (beurre et crème). Toutefois, à 3 270 €/t fin mars, la cotation ATLA du beurre échangé sur le marché spot est déjà très inférieure à son niveau de l’an dernier (-22% /2019). Ainsi le prix du lait valorisé en beurre/poudre maigre a chuté de 50 €/1 000 l en 4 semaines, à 270 €/1 000 l fin mars d’après nos estimations.

Irlande : des inquiétudes pour le pic de collecte

En Irlande, un confinement total est imposé depuis le 27 mars jusqu’au 12 avril. Les déplacements doivent être limités au strict nécessaire. Tous les commerces non essentiels sont fermés, les cafés et restaurants fournissant uniquement des plats à emporter.

Le pic de la crise du Coronavirus prévu pour avril devrait coïncider avec le début du pic de collecte d’une production très saisonnalisée. Les mois d’avril et de mai représentent environ 25% de la collecte annuelle (et près de 40% avec le mois de juin). La forte hausse de production laitière connue en Irlande depuis 2013 (+50% en 6 ans) entraîne une quasi-saturation des outils de transformation au printemps. Les transformateurs s’inquiètent de leur capacité à pouvoir transformer l’ensemble de la collecte, dans le cas où une partie de la main d’œuvre serait absente en lien avec le Covid-19.

Bien que les transformateurs soient conscients du risque et aient annoncé qu’une réduction de la production pourrait être nécessaire, les représentants des éleveurs ont pour l’instant refusé une telle éventualité. Aucune stratégie claire ne se dessine concernant la manière dont les agriculteurs pourraient réduire la production de lait (quotas de livraison individuels, pénalités…).

La consommation irlandaise n’utilise qu’environ 10% du lait produit dans le pays et ce sont donc l’évolution de la demande internationale et les contraintes logistiques qui inquiètent le plus les industriels irlandais. Ainsi, la hausse des fabrications de produits laitiers au Royaume-Uni, en lien avec le recul de la consommation de lait liquide et la baisse du prix du lait dans ce pays, pourrait freiner les exportations irlandaises de produits laitiers.

Royaume-Uni : une situation très contrastée

Au Royaume-Uni, le confinement a été décrété le 23 mars pour au moins trois semaines. Les déplacements extrêmement restreints et les commerces non essentiels impactent la consommation en RHD. Ainsi, la société Freshways, dont 40% du chiffre d’affaires dépend de la restauration, a non seulement réduit le prix payé aux éleveurs de 2 pences/l (-8% à 24 pences/l), mais a en outre annoncé fin mars que le prochain paiement aura lieu le 15 mai. De même, le transformateur de lait Pensworth ne paiera ses fournisseurs qu’à hauteur de 25% du prix standard jusqu’à ce qu’il obtienne un prêt gouvernemental d’urgence. De son côté, Arla Food UK a annoncé maintenir son prix payé aux producteurs pour le mois d’avril, à une correction de taux de change près.

En revanche, La laiterie Müller a vu ses ventes de lait, beurre et yaourts augmenter fortement dans les magasins et a lancé un plan de recrutement de 300 personnes pour faire face aux nouvelles commandes. Les livraisons quotidiennes de lait à domicile connaissent également un nouvel engouement, entraînant la création d’au moins 100 postes de livreurs. Au total, la hausse des achats des ménages ne compense pas la baisse de la consommation en RHD. Dans ce contexte, AHDB prévoit que le recul de production britannique, entamée en janvier et février, devrait se poursuivre jusqu’en septembre.

Aux Pays-Bas, où le confinement est encouragé sans être imposé aux habitants, FrieslandCampina a décidé de réduire son prix garanti pour le mois d’avril, de 362,5 € à 350 €/t de lait. Outre une baisse attendue des prix du lait payé par les sociétés inclues dans le calcul de la coopérative néerlandaise, la baisse comprend une correction de 6,7 € en raison de la baisse des prix payés aux exploitations de référence au cours des derniers mois.

En Allemagne, des mesures restrictives, mais pas de confinement à proprement parler, sont en vigueur depuis le 23 mars et jusqu’au 20 avril. Le secteur laitier est également sous pression, compte tenu de la fermeture des lieux de restauration, qui peuvent cependant procéder à des ventes à emporter. A l’inverse, les commandes du commerce de détail alimentaire étaient en semaine 13 le double de la normale pour cette période de l’année, d’après la presse allemande. Les achats portent essentiellement sur le lait et la crème longue conservation ainsi que le beurre et le fromage. Les prix du beurre plaquette sont en hausse, tandis que ceux du beurre cube reculent.

Si les grandes entreprises, comme DMK peuvent s’adapter à cette hausse des achats des ménages, les petites laiteries ont plus de mal. Le manque d’équipements et/ou d’emballages pour les ventes au détail ne leur permet pas de satisfaire la demande des lieux de vente.

En outre, les commandes à l’export ne permettent pas de réorienter une partie des volumes de lait non consommés dans le pays. En Europe, l’Italie est le premier client de l’Allemagne, mais ses commandes ont fortement diminué, touchant notamment le secteur bavarois. Les laiteries qui produisaient du fromage, comme la mozzarelle, pour des clients italiens, transforment maintenant autant que possible le lait en fromages de durée de conservation plus longue. En poudre maigre, les contrats signés précédemment sont honorés, mais les nouvelles commandes sont rares, les acheteurs attendant une plus forte baisse des cours. Les achats chinois ont été limités en février et mars, mais semblent reprendre peu à peu.

Si aucune laiterie en Allemagne n’a encore officiellement demandé à ses producteurs de réduire leur production, de telles recommandations pourraient émerger dans les prochains jours, d’autant que les livraisons de lait sur les 3 premières semaines de mars sont en forte hausse par rapport à l’année dernière (+2,2% /2019). Arla a pour l’instant annoncé maintenir le prix du lait, mais les incertitudes qui pèsent sur le secteur pourraient pousser d’autres acteurs à modifier leur prix dans les semaines à venir.

En Italie, les difficultés rencontrées par la filière laitière sont exacerbées en Lombardie, 1ère région laitière du pays (45% de la collecte nationale) et épicentre de l’épidémie. La hausse des achats des ménages, depuis le confinement général décrété dès le 8 mars, a boosté les achats de lait UHT (+28% de volume sur la période allant du 17 février au 15 mars selon ISMEA) au détriment du lait frais. Ce revirement a nécessité des adaptations sur les chaînes de transformation. Par ailleurs, la fermeture de la  RHD et la chute des exports ont pénalisé la filière qui transforme et valorise essentiellement du lait en fabrications fromagères AOP. De nombreux transformateurs incitent leurs livreurs à lever le pied. Le prix du lait vrac échangé sur le marché spot entre laiteries a fortement chuté de 75 € en un mois, à 300 €/t de lait fin mars.

En Espagne, l’Interprofession laitière (INLAC) et la fédération des industriels (FENIL) ont multiplié les messages rassurants quant au bon fonctionnement des usines de transformation. La relative spécialisation de la filière sur les laits liquides conditionnés (35% de la ressource laitière) a permis de faire face à la demande en hausse de l’ordre de 20% en semaines 12 et 13. Le syndicat Unions Agrarias dénonce toutefois le maintien des importations de lait à bas coût depuis la France et l’Allemagne.

Sommaire du numéro 311
Lait de vache

    Sommaire du numéro 311
    Lait de vache